Parents d'ados : Facile? Pas facile!!

21/10/2019

Une zone de turbulences

Ce n'est un secret pour personne : l'adolescence est une zone de turbulences. Elle ne « secoue » pas seulement ceux qui la traversent - les adolescents -, mais aussi leur entourage et, en premier lieu, leurs parents.

Confrontés à leur enfant en mutation, ceux-ci voient en effet s'abolir leurs repères et, désorientés, vivent, pour nombre d'entre eux, dans la peur de passer à côté d'un problème, voire d'une catastrophe. D'où leur quête angoissée auprès des spécialistes : « Mais à quoi voit-on qu'un adolescent va vraiment mal ? A partir de quand faut-il s'inquiéter ? »

La recherche de signes

Cette recherche de "signes" qui permettraient de savoir ce qui se passe est compréhensible, car l'adolescent est, pour ses parents, aussi impossible à saisir que le furet de la chanson. La démarche, cependant, n'est pas sans danger. Elle présente en effet un risque majeur : celui de mettre les parents dans une logique de "chasse à la maladie". Leur angoisse les prédispose à cette traque et leurs craintes ont toutes les chances d'être majorées par ce que véhicule la notion de "signes". Parler en ces termes induit l'idée que ces signes seraient les mêmes chez tous les adolescents, qu'ils auraient chez tous la même signification et constitueraient toujours les prémices d'un trouble grave.

Or, il n'en est rien. Qu'une jeune fille rechigne à se nourrir ne signifie pas pour autant qu'elle soit, d'ores et déjà, "une anorexique". Elle exprime par ce refus de s'alimenter une difficulté à vivre qu'elle ne parvient pas à dire avec des mots. Sa souffrance peut être plus ou moins importante, mais elle est toujours singulière. Elle n'a pas le même sens que celle d'une autre adolescente qui présenterait des troubles équivalents et doit être, dans chaque cas, décryptée en fonction de l'histoire personnelle. Figer d'emblée les choses en mettant une "étiquette" serait une erreur car, à l'adolescence, tout est en mouvement, le pire comme le meilleur.

Ce serait, de plus, une erreur dangereuse, car les adolescents sont toujours prompts à s'identifier à l'image d'eux-mêmes qu'on leur propose. Objets d'un diagnostic, ils peuvent être amenés, si l'on n'y prend pas garde, à la reprendre à leur compte et à en "rajouter" dans les symptômes pour "coller au personnage".

D'observateurs à incompétents

Dangereuse, la recherche de signes l'est aussi pour les parents. Prisonniers d'une telle logique, ils se mettent souvent, croyant bien faire, en position "d'observateurs" de leur enfant. Cette attitude est dommageable, car leur regard, parasité par l'angoisse, ne leur fait voir que ce qu'ils redoutent et imaginent.

Elle l'est également pour la relation à leur enfant. Qui "observe", en effet, "n'écoute" plus. Or, ce dont un adolescent a besoin, ce n'est pas d'être sous le microscope ni que l'on épie ses faits et gestes, c'est qu'on l'écoute. L'adolescent qui se sent "observé" par ses parents vit toujours leur attitude comme une preuve de défiance à son égard. Cela casse à la fois la confiance qu'il a en eux et celle qu'il peut avoir en lui-même. Car, quelle que soit la désinvolture qu'il affiche, l'opinion que ses parents ont de lui compte. Elle est même un appui essentiel pour l'image qu'il se construit de lui-même.

Enfin, contrairement à ce qu'ils croient, la connaissance de signes ne rend pas les parents plus "savants". Au contraire. Si ce savoir extérieur à eux-mêmes les rassure dans un premier temps, il les fait toujours à terme se sentir encore plus "incompétents". Il les empêche même, dans bien des cas, de suivre une intuition qui était juste. S'ils refusent de se laisser duper par les illusoires "modes d'emploi" qu'on leur propose, ici ou là, que peuvent faire les parents qui s'inquiètent pour évaluer les problèmes de leurs adolescents ?

Les 8 repères

Il faut qu'ils comprennent que s'il n'y a, en matière d'adolescence, ni "recettes" ni "savoir miracle", il existe des repères qui peuvent servir de boussole. Quels sont-ils ?

1) L'adolescence n'est pas une maladie, même si elle fait souffrir. L'adolescent n'est pas "malade", il est en mutation. La nuance est importante.

2) L'adolescence ne peut jamais se passer "bien". Ou, plus exactement, si elle se passe bien - c'est-à-dire sans heurts -, c'est là qu'il faut s'inquiéter. Une éducation n'est "réussie" que si elle permet qu'à l'adolescence on se révolte contre elle, et la révolte, ça fait toujours du bruit...

3) Se rappeler que l'adolescence est l'équivalent d'un vaste chantier. L'adolescent doit tout démolir en lui pour tout reconstruire et, pour ce faire, il doit creuser jusque dans les fondations de son enfance.
Cette importance du chantier a trois conséquences :
- nul ne peut prévoir avec certitude combien de temps il va durer ;
- un certain "quota" de problèmes est inévitable : des travaux de cette ampleur ne peuvent s'effectuer sans incidents ;
- comme dans toute rénovation, on n'est pas à l'abri de surprises désagréables. Les plus graves étant liées à des défauts dans la construction initiale. L'adolescence agit comme un révélateur de ce qui n'était pas en place depuis l'enfance. Elle est l'occasion de découvertes douloureuses, mais qui ont un avantage : une fois les problèmes mis à jour, on peut les régler.

4) Sur quoi porte le chantier ? Sur tout, c'est-à-dire sur tout ce qui constitue les piliers du psychisme d'un être humain. L'adolescence remet en chantier :
- le narcissisme, l'image, bonne ou mauvaise, que l'adolescent a de lui-même ;
- sa "sexuation" : se sent-il "vraiment garçon" ? "Vraiment fille" ?
- sa sexualité : qu'aime-t-il vraiment ? Les garçons ? Les filles ?
- son individuation, c'est-à-dire sa capacité à être, à penser et à décider seul ;
- son désir de vie : la force intérieure qui le pousse - ou non - à avoir des projets, à vouloir se construire un avenir ;
- son rapport à la "loi" : sa reconnaissance - ou non - de la valeur des limites, des règles sociales ;
- son rapport au "social" : aux institutions, aux adultes extérieurs à la famille, à l'autorité.
- sa vie relationnelle : sa capacité à aller vers les autres, à se faire des amis, etc.

5) Des problèmes (normaux) peuvent donc surgir à plusieurs niveaux :
- le narcissisme : un manque de confiance en soi. D'autant plus grand que, le corps se transformant, on ne maîtrise plus l'image que l'on donne aux autres ;
- la "sexuation" : une fille peut, par peur de la féminité, jouer les "garçons manqués" et un garçon, les "gros durs" parce qu'il craint de manquer de virilité ;
- la sexualité : on la cherche et on se cherche. Des émois naissent, parfois homosexuels, et ils font peur ;
- l'individuation : on hésite à se lancer dans la vie. On recherche, un peu trop, l'assentiment des parents ou leur aide pour des choses que l'on devrait faire seul ;
- les projets : on interroge le sens de la vie. Avancer, mais pourquoi faire ?
- la loi : on refuse de "payer le prix", de travailler. On flirte avec les interdits, on frôle la délinquance ;
- la vie relationnelle : on n'arrive pas à se "faire des copains" ou bien on devient, au contraire, l'otage de sa "bande" et l'on semble abdiquer toute personnalité, etc.

6) Si tant de problèmes sont "normaux", à partir de quand faut-il s'inquiéter ? La réponse est simple : lorsque les problèmes sont vraiment trop importants ou lorsqu'ils durent vraiment trop longtemps.
Un adolescent qui est replié sur lui-même, qui n'a aucun copain, qui n'a pas de vie affective - pas de "petit" ou de "petite amie" -, qui abandonne totalement ses études, ou qui, triste, semble n'avoir aucun désir de vie et aucun projet, et, bien entendu, un adolescent qui "se lance" dans la délinquance - même mineure - doivent inquiéter.
Comme doit inquiéter un adolescent qui reste enfermé dans une guéguerre sans fin, à propos de tout et de rien, avec ses parents, car c'est souvent, pour lui, une façon d'éviter les vraies questions.

7) Que faire si l'on sent venir un danger ? On peut évidemment proposer à l'adolescent de l'emmener consulter. Mais il est souvent plus judicieux que les parents voient d'abord, seuls, un spécialiste pour lui faire part de leurs craintes. Cela leur permet de les évaluer et d'étudier avec l'aide du professionnel le type d'aide à apporter à l'adolescent. Et, si l'adolescent refuse de consulter, de bénéficier, eux, d'une aide pour les problèmes qu'ils rencontrent avec lui.

8) A l'intention des parents qui continueraient à se culpabiliser à l'idée qu'ils ne sont pas parfaits : cessez de vous flageller ! Pour devenir adultes, vos enfants ont besoin de se détacher de vous et, pour un temps, de vous rejeter. C'est donc une chance pour eux que vous ne soyez pas parfaits. Si vous l'étiez, ils ne pourraient jamais vous quitter...